SECRET STORY : les magistrats ne manquent pas d’humour
Paris - Publié le vendredi 8 juillet 2011 à 5 h 55 - n° 237793(Emmanuel Berretta, lepoint.fr, jeudi 7 juillet)
On peut avoir fait l’Ecole nationale de la magistrature à Bordeaux et avoir aussi une mention « très bien » à l'école du rire. Le juge Joël Boyer, vice-président du TGI de Paris, en fait la démonstration à travers la décision en référé rendue le 1er juin 2011. Le litige qu’il avait à trancher prêtait en effet à sourire puisqu’il était question d’une « sex-tape » entre deux anciens candidats de Secret Story, émission de téléréalité de TF1… Une demoiselle « E » en voulait à la société Oops, éditrice du magazine Entrevue qui avait fait ses choux gras de la relation houleuse entre mademoiselle « E » et monsieur « L ». Ce dernier avait vendu la vidéo de leurs ébats et Entrevue, pour illustrer son article, en avait tiré quelques clichés concernant l’anatomie de mademoiselle « E »…
Le juge Boyer commence par décrire ce qu’est Secret Story : « E et L sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de téléréalité intitulé par anti-phrase Secret Story (saison 3), où il n’y a ni secret ni histoire, mais cependant une observation des faits et gestes des jeunes gens qui y participent sous l'œil des caméras, où le téléspectateur finit par s’attacher aux créatures qu’il contemple, comme l’entomologiste à l’insecte, l'émission ne cessant que lorsque l’ennui l’emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse. » […]
Entrevue, pour sa défense, invoque l’illustration légitime d’un fait d’actualité. […] « C’est vainement enfin que la société éditrice plaide la délicatesse au motif que le petit format de la reproduction de la double page d’Entrevue ne permettait à quiconque de reconnaître E, dont le visage a été de surcroît très légèrement flouté sur les deux vignettes la montrant pratiquant une fellation, son identité étant livrée au public, les photographies la rendant parfaitement reconnaissable, y compris les deux clichés au flou hamiltonien où on la devine face caméra. Aussi est-ce la main tremblante mais sans remords que les deux atteintes à la vie privée et au droit à l’image seront retenues », conclut-il.
C’est ici que le juge amorce un virage sur l’aile. […] Il réparera ce qui est réparable en allouant à Melle E un euro à titre de dommages et intérêts, tranche-t-il en refusant le remboursement des frais de justice. Mademoiselle E se contentera donc « du sou de l’Europe » là où elle réclamait 20 000 euros avec publication sous astreinte de 10 000 euros par numéro de retard et 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile. […]