« Parasite » : le triomphe de la Nouvelle Vague sud-coréenne à Cannes crée l’événement au box-office
Paris - Publié le jeudi 6 juin 2019 à 19 h 21 - n° 270376Ce n’est pas souvent qu’une Palme d’or pique la curiosité du public mondial. La plus populaire à ce jour reste Fahrenheit 9/11, de Michael Moore en 2004, qui avait rassemblé 222,44 millions de dollars (soit 197,09 M€) au box-office mondial. En général, seuls les films en langue anglaise qui reçoivent la récompense ont une chance de trouver leur public en dehors de la France et de leur pays d’origine. Et encore… la deuxième Palme d’or offerte au Britannique Ken Loach pour son film Moi, Daniel Blake (2016), ne lui a valu aux Etats-Unis que 1 % de ses recettes.
Bong Joon-ho parasite le box-office
Il faudra attendre le 11 octobre 2019 pour que Parasite, de Bong Joon-ho montre son potentiel outre-Atlantique. Mais le site ComScore assurait déjà dimanche 2 juin que le dernier lauréat de la Palme d’or avait été triomphalement accueilli dans son pays, avec 25 M$ (22,15 M€) rapportés dès son premier week-end. Parasite, effectivement sorti le 30 mai en Corée du Sud, a été déjà vu par 3 millions de personnes, selon le Kofic (Conseil du film coréen), un triomphe habituellement réservé aux blockbusters et aux films de superhéros. Mais Godzilla II - Roi des monstres, sorti le même jour, n’a étonnamment pas fait le poids.
En France aussi, où le film n’est même pas proposé en version française, les spectateurs sont au rendez-vous. Avec 54 941 entrées dès son premier jour, dont 17 842 sur les différentes avant-premières organisées depuis la fin du Festival de Cannes, Parasite s’est illustré comme le quatrième plus gros démarrage pour une Palme d’or après Fahrenheit 9/11 (2004), Pulp Fiction (1994) et Entre les murs (2008), soit deux films américains et un film français. C’est donc une première pour un film venu du reste du monde.
Vingt ans d’attente
Ce succès témoigne de l’immense considération du public cinéphile sud-coréen pour le Festival de Cannes et sa mythique Palme d’or. Force est de reconnaître que, depuis l’avènement de la Nouvelle Vague sud-coréenne portée par les cinéastes Park Chan-wook, Kim Jee-woon et Bong Joon-ho, le Festival de Cannes a servi de fidèle tremplin à cette cinématographie bouillonnante.
Depuis le nouveau millénaire, pas moins de 16 longs métrages sud-coréens ont été sélectionnés en compétition, du Chant de la fidèle Chunhyang, d’Im Kwon-taek en 2001 à Parasite en 2019. Certains d’entre eux, pourtant rentrés bredouilles du palmarès, ont tout de même su créer un événement public ou critique en France, comme Mademoiselle, de Park Chan-wook en 2016 ou Burning, de Lee Chang-dong en 2018.
Avant ce 72e Festival de Cannes de 2019, le cinéma sud-coréen n’avait obtenu que 5 prix, passant parfois très près de la fameuse Palme, comme avec Old Boy (Park Chan-wook) en 2004, qui avait tapé dans l’œil du président du jury Quentin Tarantino et a finalement dû se contenter du Grand Prix. Son cinéaste passera à nouveau près, cinq ans plus tard, en décrochant le prix du jury pour Thirst - Ceci est mon sang. Im Kwon-taek avait été le premier cinéaste sud-coréen récompensé à Cannes pour la mise en scène d’Ivre de femmes et de peinture en 2002, bien avant que Lee Chang-dong soit primé pour le scénario de Poetry en 2010. Quant à Jeon Do-yeon, elle reste la seule comédienne du pays distinguée sur la Croisette en 2007 pour Secret Sunshine, de Lee Chang-dong.
Une forte complicité s’est aussi forgée au fil des ans autour des séances de minuit qui ont accueilli à neuf reprises depuis 2005 des films de genre sud-coréens, du polar sombre A Bittersweet Life au cinéma d’espionnage avec The Spy Gone North en 2018, en passant par un film de zombies furieux avec Dernier train pour Busan en 2016 et un film d’action survitaminé : The Villainess en 2017.
La Palme, enfin
En 2019, c’est Bong Joon-ho qui offre enfin la prestigieuse récompense cinématographique à la Corée du Sud. Un symbole, pour l’industrie cinématographique de ce pays d’Asie, qui aura patiemment attendu sa récompense pendant vingt ans. Parasite, fable grinçante sur la mutation de la société sud-coréenne, est un parfait représentant de sa Nouvelle Vague. Le mouvement artistique est né au début du XXIe siècle pour témoigner des dérèglements sociaux survenus au lendemain de la libéralisation politique du pays, à la fin des années 1980.
C’est aussi une revanche personnelle pour Bong Joon-ho, parti tourner des films plus commerciaux et cosmopolites depuis 2013 avec Le Transperceneige. En 2017, il avait été hué à Cannes avec Okja, présenté en compétition sous la bannière Netflix. Alors que le Festival a vu plusieurs fois en compétition des films sud-coréens de réalisateurs considérés comme plus cérébraux (Hong Sang-soo, Lee Chang-dong ou Kim Ki-duk), c’est finalement un long métrage cynique, violent et rugueux qui l’emporte. Cette fois, la victoire du cinéma sud-coréen est totale.
La Palme d'or du festival de Cannes en France depuis 1994