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Clin d’œil - Dis, Gaëtan (Bruel / CNC), c’est quoi ta cinéphilie ?

Paris - Publié le vendredi 17 octobre 2025 à 20 h 19 - n° 348263

Le MIFC avait organisé vendredi 17 octobre un « entretien » avec le président du CNC, Gaëtan Bruel, entretien que nous évoquons par ailleurs. En introduction à cet événement, son modérateur, Florian Krieg, rédacteur en chef au Film français, l’a interrogé sur sa formation, sa culture, sa cinéphilie et ses goûts en matière cinématographique. Nous avons trouvé intéressant de reprendre ici de larges extraits de sa réponse, sous forme de citations.

Une cinéphilie d’abord scolaire

« Je réponds à votre question ; il faut faire la part des choses entre ce que je vais vous dire sur mes goûts et évidemment ma fonction. Pour autant, il serait peu souhaitable d’imaginer que le président du CNC n’ait pas de cinéphilie. Et au fond, la réponse à votre question tient pour moi dans une forme de dissociation. Au fond, tel que vous me voyez, j’ai deux cinéphilies. J’ai ma cinéphilie personnelle, qui se développe depuis une vingtaine d’années, qui a commencé d’un coup parce qu’elle n’était précédée par rien. Puis après, j’ai ma cinéphilie de président du CNC, qui est assez différente, mais je vais essayer de vous dire pourquoi. Ma cinéphilie à moi, c’est un éloge de l’école, car j’ai une cinéphilie qui est d’abord scolaire. J’ai grandi dans une famille dans le sud de la France qui m’a beaucoup apporté, mais qui ne m’a pas apporté l’amour du cinéma, parce qu’on n’allait pas au cinéma, ou rarement pour voir des Disney qu’on regardait d’ailleurs plutôt en VHS à la maison. On avait aussi le film de télé que mes parents avaient enregistré. C’était ça c’était mon rapport au cinéma et au film.

Ma première rencontre avec le cinéma que j’aime

Et, en fait, la première fois que j’ai mis les pieds dans une autre salle de cinéma, c’était avec l’école, alors que j’étais en 3e : un enseignant nous avait emmenés voir La Ville Louvre de Nicolas Philibert. C’est ma première rencontre avec le cinéma que j’aime. Un documentaire, une salle d’art et d’essai, l’Utopia à Montpellier, pour laquelle j’ai gardé un très fort attachement […]. La deuxième, c’est quand j’étais au lycée, en 1re, j’étais en option histoire de l’art. Ce qui m’a beaucoup marqué, c’est d’appréhender le cinéma comme un art en dialogue avec les autres, c’est-à-dire avec une dimension irréductible et en même temps une banale communalité. C’est un art parmi d’autres et cette approche-là aussi a nourri ma cinéphilie. A ce moment-là, par exemple, on nous a montré dans la classe Le Cuirassé Potemkine et j’ai développé une passion pour Eisenstein. Je dirais que j’ai une cinéphilie qui est un peu faite d’obsessions. Donc quand j’aime un réalisateur, je vais vraiment me faire la verticale […].

Pendant les études, ciné au Quartier Latin, on ne se trompe jamais

Grâce à l’école on passe de troisième ou seconde avec aucune expérience du cinéma et on arrive au bac en ayant déjà un début de culture, mais surtout un vrai goût pour le cinéma. Ensuite je suis allé en classe préparatoire littéraire à Paris, à Louis-le-Grand, et je dois dire que la grande échappée dans le Quartier latin plusieurs fois par semaine c’était un bonheur pour moi et mes camarades. Je suis très nostalgique de ce temps où on ne savait pas à l’avance ce qu’on allait voir. C’était un peu le cinéma qui décidait pour nous mais on savait qu’on ne se trompait pas en allant dans certains cinémas. Je dois dire que je ne suis pas vraiment sorti de ce quartier au cours de mes études et je ne suis allé qu’une seule fois à la Cinémathèque pour voir, je ne sais pas si je peux le dire, Solaris, un film d’Andrei Tarkovsky qui m’a profondément ennuyé, alors que j’avais beaucoup aimé Stalker. Pour cette raison, je garde un terrible souvenir de mon premier passage à la Cinémathèque, même si ensuite j’y ai vécu de bien meilleures expériences […].

Cinéphilie avec une vraie constance livresque du cinéma aussi

J’avoue que j’ai été, dans un premier temps en tout cas, plus attiré par les cinémas du monde que par le cinéma français, même si des auteurs comme Agnès Varda et Leos Carax m’ont beaucoup marqué. Au fond, si je devais résumer, je dirais [que j’ai] une cinéphilie joyeuse, scolaire, les deux ne sont pas incompatibles, avec plein de trous, avec une vraie constance aussi d’une cinéphilie livresque car que je pense que parler des films et lire des livres autour des films ça participe complètement de la passion qu’on peut avoir pour le cinéma […].

En tant que président du CNC, l’importance de s’intéresser aux goûts du public

Mais je n’ai pas encore répondu à la question, c’est quoi la cinéphilie du président du CNC ? Parce qu’au fond, si mes goûts que je viens de vous partager importent peu, et c’est même plutôt dangereux si on commençait à imaginer que j’en ferai la matrice de mon action au CNC. En revanche, les goûts du public importent beaucoup, et ils importent à toute la filière, et ils importent à ce titre évidemment au présent du CNC. Et au fond, ce que j’essaie de faire depuis que j’ai pris mes fonctions, c’est d’essayer d’avoir une compréhension élargie de ce que les Français peuvent voir, ont envie de voir et, au fond, mais c’est assez intéressant à essayer de le faire, j’essaie comme les Français d’avoir une cinéphilie œcuménique et élargie et, même si exhaustive ce n’est pas possible, je cherche à m’intéresser à des choses que je n’aurais pas vues avant.

Moins de séances de ciné aujourd’hui et plus d’oeuvres audiovisuelles

Donc, concrètement, je vais moins au cinéma depuis que je suis au CNC, d’abord parce que je vois beaucoup plus d’œuvres audiovisuelles, ce qui est la moitié de notre activité. De ce point de vue j’ai quelque chose à rattraper par rapport à ma propre pratique et je dois dire que je suis épaté de découvrir qu’il y a dans le registre de la création audiovisuelle la même variété, la même capacité à produire des œuvres pour tous les genres, tous les goûts. Il n’y a pas de hasard sur le fait que la fiction française rencontre un grand succès auprès des spectateurs. Je vais voir des films que je ne serais pas forcément allé voir avant et par ailleurs je lis et je regarde ce qui se passe aujourd’hui et cela va devenir beaucoup plus systématique par rapport à ce que je faisais jusqu’à présent. 

Revenir incognito à Lyon l’an prochain ?

Quant à ma présence ici, au MIFC [et au Festival Lumière], la seule vraie frustration que j’ai depuis 3 jours c’est que je n’ai pas vu un seul film, l’arbitrage étant : vaut-il mieux passer une heure et demie à discuter avec des gens intéressants que je ne verrai pas ailleurs, ou aller voir un film. Je pense qu’il faudra que je revienne incognito l’an prochain ! »

Gaëtan Bruel au MIFC le 17 octobre 2025. - © Satellifacts
Gaëtan Bruel au MIFC le 17 octobre 2025. - © Satellifacts
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