Canal+ : le Conseil d'Etat annule partiellement l'autorisation du rachat de Direct 8 et Direct Star
RESUME : Suivant les recommandations du rapporteur public, le Conseil d'Etat a partiellement invalidé l'autorisation délivrée en juillet 2012 par l'Autorité de la concurrence à Canal+ pour le rachat de Direct 8 et Direct Star (devenues D8 et D17). Selon la juridiction, deux erreurs font qu'il y a eu vice de forme et que la procédure est « partiellement illégale sur le fond ». Conséquence : l'agrément du CSA est lui aussi partiellement annulé. L'Autorité de la concurrence et le CSA ont jusqu'au 1er juillet 2014 pour revoir leur copie. Canal+, qui rappelle que cette décision ne remet pas en cause sa propriété des deux chaînes, va demander une nouvelle appréciation sur son engagement.
Le Conseil d'Etat a partiellement annulé, hier, l'autorisation de l'Autorité de la concurrence qui a permis à Canal+ d'acquérir en 2012 auprès de Bolloré les chaînes Direct 8 et Direct Star, devenues D8 et D17, a-t-il annoncé dans une décision publiée sur son site internet. Selon le Conseil d'Etat, qui avait été saisi par TF1 et M6 d'un recours en annulation en novembre 2012, cette autorisation, délivrée en juillet de la même année, souffre d'un « vice de forme » et « est partiellement illégale sur le fond » ; par conséquent, l'agrément délivré par le CSA à la suite de cette autorisation est partiellement invalidé également. La juridiction a ainsi suivi les recommandations du rapporteur public Vincent Daumas (nos informations d'hier).
Rappelons qu'en septembre 2011, Bolloré, qui détenait les chaînes Direct 8 et Direct Star, avait conclu un accord portant sur la cession de 60 % de ses filiales à Vivendi ainsi que 100 % des sociétés Direct Productions, Direct Digital et Bolloré Intermédia. Le 23 juillet 2012, l'Autorité de la concurrence avait donné son accord, sous réserve de plusieurs engagements (limitation des acquisitions de droits des films et séries US ainsi que des films français, négociation séparée des droits payants et gratuits des films et séries, limitation des acquisitions de films de catalogue auprès de StudioCanal, cession des droits de diffusion en clair des événements sportifs d'importance majeure…).
Le Conseil d'Etat a constaté un vice de forme : la décision de l'Autorité aurait dû être adoptée par une formation collégiale et non par son seul président. Cette erreur avait été pointée par M6 et TF1. L'Autorité de la concurrence n'a réuni son collège qu'une fois dans le cadre de la procédure : « Si le collège de l'Autorité de la concurrence a, le 2 juillet 2012, entendu les parties, délibéré de leurs propositions d'engagement et adopté une première décision sur les effets anticoncurrentiels de l'opération et les mesures correctives à prendre, il ne s'est pas réuni ensuite pour délibérer collégialement des derniers engagements présentés, en fin de procédure, en réponse à cette première décision. » Canal+ a fait parvenir ses engagements définitifs au dernier moment, le vendredi 20 juillet peu après 18h pour une prise de décision fixée au lundi 23 juillet, ne laissant pas à l'Autorité le temps nécessaire pour réunir son collège composé de membres permanents et non permanents.
La décision du Conseil d'Etat va conduire l'Autorité de la concurrence à modifier ses méthodes de travail dans le cadre d'opérations similaires de contrôle de concentration en phase 2. Le dossier pourrait alors être pris en charge par la commission permanente composée du président de l'instance et des quatre vice-présidents.
Une erreur d'appréciation sur l'un des engagements
Sur le fond, le Conseil d'Etat a estimé que l'Autorité avait commis « une erreur d'appréciation en acceptant l'un des engagements […] censé éviter le verrouillage des marchés de droits de rediffusion de films français en clair ». Afin de ne pas déséquilibrer le marché de la TNT, Canal+ s'est engagé à ne pas acquérir, au cours d'une même année, les droits en payant et en clair d'un même film français récent inédit en clair pour plus de vingt films. Parallèlement, le groupe s'est engagé à négocier de manière séparée ses acquisitions de droits en clair et ses acquisitions en payant pour l'ensemble des droits des films français récents, à l'exception des droits de diffusion de ces vingt films.
Le Conseil d'Etat a relevé que les droits de rediffusion exclusifs se négociaient dès le stade du préfinancement des films et que Canal+, compte tenu de sa position dominante sur les marchés de droits de diffusion de films français en télévision payante, disposait d'un effet de levier pour obtenir les droits exclusifs de rediffusion de ces films en clair. Il ajoute que « la mise en œuvre d'un tel effet de levier aurait pour effet d'ériger de fortes barrières à l'entrée sur les marchés de droits de diffusion de films français en deuxième et troisième fenêtres en clair ». En conséquence, cet engagement « n'était manifestement pas de nature à prévenir la réalisation dans un avenir proche de cet effet anticoncurrentiel ».
Annulation partielle de l'agrément du CSA
En ce qui concerne le CSA, M6 avait demandé l'annulation, pour excès de pouvoir, de sa délibération du 18 septembre 2012 validant l'opération. Le Conseil d'Etat en a prononcé l'annulation « en tant qu'elle ne contient pas d'engagements permettant d'assurer un accès équilibré de tous les opérateurs aux marchés de droits autres que le marché des droits de diffusion en clair de films français récents ainsi qu'à la ressource publicitaire ». La juridiction a retenu que le CSA « s'était fondé sur l'existence d'engagements suffisants pris par les groupes Vivendi Universal et Canal+ devant l'Autorité de la concurrence » : ces engagements n'étant plus jugés suffisants, cette partie de l'agrément est invalidée. Il appartiendra donc désormais au CSA de réexaminer ce seul aspect de la demande d'agrément. La juridiction n'a en revanche pas remis en cause l'avis du CSA sur les engagements de Canal+ eux-mêmes. Elle n'a pas non plus suivi d'autres arguments de M6, qui mettaient en cause l'appréciation du CSA « sur les effets de l'opération en termes de diversification ».
Effectif à compter du 1er juillet 2014
Afin d'éviter un vide juridique, le Conseil d'Etat « a décidé que l'annulation prononcée ne prendrait effet qu'à compter du 1er juillet 2014 et ne vaudrait que pour l'avenir ». D'ici là, Canal+ doit renotifier l'opération auprès de l'Autorité de la concurrence qui devra la réexaminer au regard de la situation d'aujourd'hui et « user, le cas échéant, de ses pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements ». Le CSA devra tenir compte « des nouvelles mesures correctives que l'Autorité de la concurrence est susceptible d'adopter d'ici au 1er juillet 2014 » et « [user], le cas échéant, de ses pouvoirs propres ».
De son côté, Canal+ a réagi en qualifiant de « purement formel » le motif de l'annulation. Le groupe a indiqué qu'il allait « saisir dans les plus brefs délais l'Autorité de la concurrence » et le CSA afin qu'ils puissent « porter une nouvelle appréciation sur l'engagement jugé insuffisant par le Conseil d'Etat », indique-t-il dans un communiqué.